L'oedipe transgénérationnel
Comment Freud est-il arrivé au complexe d’Œdipe ? Le complexe d'Œdipe est élaboré par Freud au cours de son auto-analyse. Dans une lettre à Fliess, du 15 octobre 1897, il écrit : " J'ai trouvé en moi, comme partout ailleurs, des sentiments d'amour envers ma mère et de jalousie envers mon père…La légende grecque a saisi une compulsion que tous reconnaissent parce que tous l'ont ressentie. Chaque auditeur fut un jour en germe, en imagination, un Œdipe " [1]. Dans "L'interprétation des rêves", Freud décrit longuement la légende, il donne au complexe un caractère universel :
"A nous tous, peut-être, il fut dévolu de diriger notre première motion sexuelle sur la mère, notre première haine et notre premier souhait de violence contre le père " [2].
Complexe d'Œdipe décrit sous sa forme simple, en 1910, le garçon, " commence à désirer la mère elle-même…et à haïr de nouveau le père, comme un rival qui se met en travers de son désir ; il tombe, comme nous disons, sous la domination d'Œdipe " [3].
Freud développe, plus tard, encore pour le garçon, une "forme plus complète, complexe qui est double, positif et négatif" : " le garçon n'a pas seulement une position ambivalente envers le père et un choix d'objet tendre pour la mère, mais il se comporte en même temps comme une fille en manifestant la position tendre envers le père et la position correspondante d'hostilité jalouse à l'encontre de la mère " [4].
Il explicite, avec plus ou moins de bonheur, l'Œdipe féminin dans des textes contemporains ou ultérieurs. En fait, il en reparlera vraiment dans un texte des nouvelles conférences de 1932, « La féminité » mais on peut dire que dans ce texte, il retient surtout la complexité de la résolution du complexe d’Œdipe de la fille par rapport à celle du garçon, il énonce que c’est moins bien résolu et surtout, il centre ce complexe tout autour de l’envie de pénis supposé de la femme. A ce point de vue, il y a un texte majeur de Maria Torok, dans l’Ecorce et le noyau, « la signification d’envie de pénis chez la femme » , où elle montre comment le phallo centrisme de Freud nous égare pour comprendre le fondement de cette question d’envie de pénis chez la femme. Comme l’explique Danièle Flaumembaum, cette envie vient à la place d’une impossible jouissance de la femme dans son propre sexe, en particulier parce qu’elle ne sait pas, petite fille, qu’elle en a un. C’est parce qu’une fille a une mère vide de son sexe, qui n’est pas dans le génie de son sexe, comme disait Dolto, qu’elle va se sentir aussi vide qu’elle et désirer ainsi une chose impossible avec toute l’amertume et la frustration qui va avec. L’envie de pénis sert principalement les filles à rester fidèles à leur mère : tant qu’elles désirent le posséder, elles ne peuvent pas avoir réellement envie d’avoir celui de l’homme en elles. Ce que Freud montre tout de même sur l’Œdipe féminin dans ses derniers travaux, c’est qu’il survient après une période préodipienne qui est toute en relation avec la mère. Aussi le premier objet d’amour étant la mère pour les deux sexes évidemment cela complexifie la stricte adaptation de l’Œdipe masculin à l’Œdipe féminin.
Cependant, la première fois que Freud introduit le mythe d'Œdipe, il évoque également le personnage d'Hamlet : " ne trouverait-on pas dans l'histoire d'Hamlet des faits analogues?" [5]Il développe par la suite ce thème d'Hamlet, conjointement à celui d'Œdipe dans "L'interprétation des rêves " [6]puis encore dans les Cinq leçons sur la psychanalyse, en 1909.[7] Dans Hamlet, il ne s'agit pas de tuer le père mais l'oncle paternel qui a supprimé et pris la place du père. Mais par la suite, Freud passera cet élément à la trappe à mon sens, à cause de l’hostilité qu’il avait avec son oncle paternel Joseph, qui se trahira chez lui dans sa relation avec Joseph Breuer. Le rival réel chez lui, c’est l’oncle. (voir le livre de Bruno Clavier « les fantômes familiaux »)La question du meurtre du père, ne tient pas compte de la façon dont un enfant peut penser tuer quelqu’un, c’est-à-dire le faire disparaître. La mort n’existe pas chez l’enfant donc le meurtre non plus. On le voit avec les enfants, ce n’est pas de disparaître vraiment que l’on demande au parent rival mais de disparaitre tout en restant là comme objet d’amour. On voit donc que l’Œdipe tel qu’il est décrit traditionnellement et tel que le public l’a compris et malheureusement, tel que beaucoup de psychanalystes le conçoivent aussi, n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on trouve en clinique. Dolto a beaucoup insisté là-dessus, et Dumas aussi : l’Œdipe c’est d’abord l’interdit de l’inceste. Pour Didier Dumas qui en donnait un point de vue beaucoup plus large et fondamental l’Œdipe, c’est la période où l’enfant tente d’intégrer au même moment, d’une part la sexualité et la mort, et d’autre part le temps et l’espace.
Bruno Clavier
[1] Sigmund Freud, La naissance de la psychanalyse, op. cité, lettre N°71 du 3 octobre 1897, p.198
[2] Sigmund Freud, L'interprétation des rêves, , p.303
[3] Sigmund Freud, Un type particulier de choix d'objet chez l'homme, La vie sexuelle, 1910, Puf, p.52
[4] Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Le moi et le ça, 1923, , p.273
[5] Sigmund Freud, La naissance de la psychanalyse, op. cité, lettre N°71 du 3 octobre 1897, p.198
[6] Sigmund Freud, L'interprétation des rêves, p.306